Une nuit en mer…

Du 13 au 14 novembre 2016

***Note importante au lecteur: J’ai hésité avant de publier ce texte. C’est avec beaucoup d’humilité que je vous transmets ce que j’ai ressenti pendant cette deuxième navigation en mer. Cette nuit là, je me suis sentie vulnérable, mais cette nuit-là, j’ai aussi beaucoup appris sur moi-même.… Soyez assurés qu’en aucun temps ma petite famille et moi-même n’avons été objectivement en danger… parfois, la perception et les émotions ne concordent pas avec la réalité…***

Pour ceux qui ont lu notre texte précédent, vous savez que les hauts fonds de la Caroline du Nord et de la Caroline du Sud, le froid omniprésent dans le bateau et la routine chamboulée nous ont fait voir l’opportunité de prendre la mer.

Nous approchions de la ville de Charleston en Caroline du Sud et de son Inlet (voie d’accès de navigation balisée pour sortir ou entrer de la mer). Après avoir longuement regardé la météo, les vents annoncés venaient du NO, entre 5 à 10 noeuds maximum, avec peu de vagues et le tout diminuait pour les prochains 48 heures… Nous avons pris la décision de sortir en mer à partir de Charleston jusqu’à Ste-Mary’s Inlet (à la frontière entre la Georgie et la Floride). Notre destination était Cumberland Island. Nous avions calculé que la traversée serait d’environ 26 heures et qu’en tout notre navigation serait, à partir de notre point d’ancrage, d’environ 33 heures. À nous la Floride, la chaleur et les plages …

Ce matin du 13 novembre, nous avons levé l’ancre vers 6h30 AM, avisé nos parents et des amis de notre itinéraire et c’est vers midi que nous nous sommes retrouvés dans les eaux de l’océan Atlantique.

La journée s’est déroulée avec un petit vent agréable. Nous étions à la voile et au moteur, nous avons vu quelques dauphins. Nous avons soupé avant la noirceur, nous nous sommes racontés des blagues pendant un bon 45 minutes en admirant le coucher du soleil.

Autour de nous, que l’océan, à perte de vue….

C’est magnifique, je me sens réellement privilégiée d’être là, je ne voudrais être nulle part ailleurs.

Et puis, en soirée, contre toute attente, le vent s’est levé ainsi que les vagues… Pas une tempête, comprenez moi bien, mais un vent avec des rafales et des vagues qui faisaient que l’idée que je m’étais faite, dans ma tête, de ma petite nuit tranquille sur l’océan venait de s’évanouir… Alors que je m’étais fait un scénario dans lequel le vent nous poussait tout doucement vers la Floride, la mer en avait décidé autrement et la nuit serait plus longue que prévue.

Etait-ce l’effet de la plein lune ? Allez savoir….

Combien de fois dans ma tête je me suis mise à douter de notre jugement sur la météo alors nous l’avions vérifiée à plusieurs reprises sur différents sites et que nous avions même parlé à la Coast Guard pour être vraiment certains qu’il n’y avait aucun avertissement pour les petites embarcations, les avions avisés de notre itinéraire et du fait qu’il y avait trois enfants à bord. Rien de spécial nous ont-ils dit…Nous n’étions pas dans une tempête, mais le vent était drôlement plus fort et les vagues plus cassantes que prévues…

Toujours est-il que cette nuit là, la mer, la vie avait décidé de m’envoyer un défi mental.

Toute la nuit, Thalasso a absorbé des vagues de travers et s’est fait pousser par un vent qui avait tourné et qui venait principalement de l’ouest;

Toute la nuit, j’ai entendu mon bateau craquer de partout;

Toute la nuit, Yan et moi nous nous sommes relayés pour barrer notre bulle d’amour, tout d’un coup si petite dans toute cette immensité, pour amener nos trois enfants bien endormis et confiants à bon port…;

Deux parents sur le pont, sommeillant chacun notre tour dans le cockpit…;

Toute la nuit, pour me donner du courage, j’ai pensé à mes enfants à qui j’avais promis sable, chaleur et coquillages pour le lendemain ;

Toute la nuit, j’ai regardé l’obscurité de la mer et du ciel, j’ai regardé cette lune si scintillante accompagnée de toutes ses étoiles;

Toute la nuit, nous avons tenu le cap ;

Et puis…à l’aube…

Etait-ce la fatigue ?

Etait-ce mon inquiétude de maman qui s’était amplifiée comme un tourbillon dans ma tête à force d’entendre le bateau frapper dans les vagues et de voir les objets tomber de partout ?

Était-ce ce froid qui me transperçait au travers de mes trois épaisseurs de combinaison, de mon pantalon et de mon manteau imperméable, ma tuque, mes mitaines, mon cache-cou, malgré le café ?

Était-ce que j’étais vraiment si fâchée contre la mer qui ne nous faisait pas vivre cette nuit paisible que je m’étais imaginée, que ça ne se passait pas du tout comme je me l’étais imaginée… pourtant, il me semblait qu’on méritait une belle nuit …

J’ai pleuré, j’ai perdu la capacité de tenir la barre, j’ai eu mal au coeur et j’ai dû aller m’étendre au petit matin pendant presque trois heures, étant capable de ne répondre que minimalement aux besoins des enfants qui se réveillaient et avaient faim. Je me suis sentie coupable de ne pas être à la hauteur, de ne plus pouvoir aider Yan, d’être dysfonctionnelle tout d’un coup. Mon mental avait lâché. Il était 6 heures du matin.

Vous savez, si j’ai décidé de vous raconter tout cela, ce n’est pas pour faire pitié.

Vers dix heures du matin, les vagues se sont calmées, j’ai repris tranquillement le contrôle de moi-même, le soleil et la chaleur de la Floride commençait à se faire sentir. Nous sommes arrivés de bonne humeur à Cumberland Island en fin d’après-midi et y avons passé deux journées magnifiques.

Non, si j’ai décidé de vous raconter cette expérience bien personnelle, c’est pour vous dire qu’une fois encore, la vie m’a appris que l’on ne peut pas toujours tout contrôler. Tout le monde peut sentir à un moment ou à un autre que les choses ne se passent pas comme ils le veulent; ça nous arrive tous. La vie est ainsi faite. La vie, c’est une série d’expériences. Aussi, la vie ça ne va pas au mérite. Rien à voir. Et toujours et encore, il faut s’adapter à la situation. Il faut faire de son mieux, le faire avec coeur, prendre des décisions en lien avec soi, rester calme et avoir confiance que tout ceci fait partie du grand livre de l’univers, bien plus grand que notre petite personne.

Il faut aussi accepter que parfois, on a atteint notre limite et qu’on a le droit.

Et oui, j’ai hâte de reprendre la mer….Sûrement que c’est en vivant de telles expériences que l’on devient non seulement un meilleur marin, mais aussi une version meilleure de soi-même.

Mère – fils…des moments inoubliables

Le bleu de la mer…

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L’horizon et la mer …

Deux frères et l’océan Atlantique droit devant et tout autour…

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Notre bulle d’amour vue de Cumberland Island en Georgie….

Josée


22 réflexions sur “Une nuit en mer…

  1. (oublie la signature de l’avatar, c’est Lucie toute seule qui écrit)
    Tu viens de me faire rire et pleurer. Enfin! Enfin une qui ose dire aussi les creux de vagues. Josée, sur chaque bateau, au coeur de chaque équipage, il y en a un (ou deux) qui tôt ou tard vont chatouiller leur seuil de tolérance plus ou moins sévèrement. Mais rares, très rares, sont ceux ou celles qui le diront.
    Mes peurs et mes limites en bateau, je les ai toujours racontées. Cela m’a valu sans doute d’être perçue comme plus peureuse. Peut-être que c’était vrai, mais probablement pas.

    Mais je peux te dire que je suis toujours beaucoup plus inspirée et impressionnée par ceux qui rencontrent leurs monstres, qui leur font face, et qui ont ensuite l’humilité de le raconter… et de continuer. En racontant qu’il y a aussi des moments de doutes, tu racontes la vraie vie. Et cela donne encore plus de lumière aux moments de grâce!

    Et tiens-toi bien parce que ça, il y en a des tonnes devant votre étrave!

    <3

    Lucie

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    1. Je n’aurait pu l’exprimer avec autant de Grâce. Bravo Lucie et René. Vous traduisez bien ce que l’on ressent devant cette expérience de vie et un texte si profond et si beau. Bravo José émouvant.

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  2. C’est ça la résilience…le lâcher prise dans des situations difficiles et souvent hors de notre contrôle. Ça nous fait grandir et épanouir. Vous êtes une famille formidable et qui n’a pas peur de relever des défis !
    Je vous embrasse et bon vent ! 😘

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  3. Bravo c’est fait, la première expérience qui nous douter. Les autres seront plus facile. C’est tellement beau lorsque l’on peut se dire je l’ai fait.
    J’ai fait cette route à plusieurs occasions et vos récits me replongent dans ces belles aventures

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  4. Que dire? Ce billet m’a touché, beaucoup touché. J’ai ressenti en le lisant toutes les émotions que tu as vécu et je suis contente que tu aies eu le courage de les étaler ouvertement et sans pudeur, ce qui démontre ta forte personnalité. Oser dire qu’on a eu peur c’est courageux, admettre sa vulnérabilité face à plus grand que soi ce n’est pas être peureuse mais réaliste. Tous les marins, même les plus aguerris, ont eu peur un jour ou l’autre face à la férocité des éléments devant lesquels il faut serrer les dents et agir du mieux que l’on peut. BRAVO.

    Je vous souhaite maintenant des eux plus calmes pour la continuation de votre voyage vers les Bahamas.

    Et finalement j’aurais dû m’écouter et vous tricoter plus de tuques et de col pour vous garder au chaud!😅 😘 😊 🌞 🌞 🌞

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  5. Très beau et touchant témoignage Josée! Merci de l’avoir partagé. Ta plume est magnifique et la perspective que tu donnes à votre sublime expérience est vraiment géniale! Un plaisir de vous suivre et de vous lire!!! Bises à vous tous, savourez!!!

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  6. Chère Josée,
    Même à cette heure tardive, je ne dois de t’écrire mes impressions quant à ton dernier article: …. Formidable!
    Oui, je ressens toute la tension aue toi et les tiens avez pu ressentir durand ces heures difficiles … Sûrement que pour nous, bien assis au salon à te lire, nous ne pouvons tout ressentir ce que vous viviez durant ces longues heures en mer, mais soyez assurés qu’avec toutes les prières que nous faisons quotidiennement, il ne saurait rien vous arriver….
    Tu résumes et exprimes tellement ces durs moments bien que nous te lisons avec avidité. Bien que nous demeurions en attente du prochain texte, je vous souhaite qu’il soit vécu moins intensément.
    Bonne continuité et nous vous portons dans mes prières.
    Salutation à tous
    Nanny et papy

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  7. le marathonien court ,court,souffre et court encore soudain il frappe le fameux mur,devrai-je abandonner, continuer,non je continue non j’abandonne non je continue; il se bat contre lui-meme. Celui qui grimpe l’Everest ,fait une transat frappe aussi le mur, le froid la douleur,le manque de sommeil ennemi no 1. Quand on est un(e) bon dormeur c’est la que ca fait le plus mal.Tu aura surement eue un apercu de tes limites,mais c’est dans les epreuves qu’on apprend a se connaitre.On a des ressources insoupconnees t’inquiete pas,et tu est a l’aube de les découvrir.N’hesite pas a relever les défis et tu sera surprise de tes forces intérieures.C’est un voyage intérieur aussi que tu fais… Bon courage et bon vent

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  8. C’est dans les moments les plus intenses que nous découvrons vraiment qui nous sommes. Notre vulnérabilité, notre courage et aussi nos faiblesses. Tu as fait preuve de beaucoup d’humilité de t’ouvrire sur cette dure nuit et de nous laisser vivre ces moments plus penibles avec vous. C’est tout à ton honneur. Lâches pas la tribu, vous êtes constamment dans nos pensées et nos prières. On vous aime très fort et nous vous lisons avec beaucoup d’attention! Bisous 😘

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  9. Ton récit m’a ramenée loin en arrière quand un de mes anciens patrons m’avait raconté combien sa première nuit en mer l’avait terrorisé… puis il avait navigué une dizaine d’année…avant d’accepter de ramener un bateau en Floride avec des petits jeunes.. Ce soir là il y avait tempête et il était allé se coucher en laissant les jeunes sur le pont..¨Ïl faut de l’expérience pour comprendre que parfois on peut juste laisser aller¨ disait-il . Le lendemain matin il avait pu prendre le relais des jeunes qui avaient passé une nuit de terreur …..Il en riait .tellement….Rien que son histoire m’avait tétanisée..Je te lis et …on dirait une expérience initiatique….un passage obligé pour aller de l’avant…Quel courage!!!! surtout face a moi qui ne suit même pas allée sur le quai…. Un jour tu en riras sans doute…

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  10. Josée il faut que tu écrives un livre sur votre aventure. Tellement intéressant malgré les embûches de la vie.
    Je vous aime tous et je pense souvent à vous tous. Gros bisous de Victoriaville XOXOXO

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  11. Bravo, de surmonté ces peurs et d’en parler vous font honneurs , nous avons lu avec beaucoup d’intérêts votre périple
    ( nous ferons le même l’an prochain) et nous aideras a passé au travers de certaine émotions incontournable. Merci de nous
    faire voyagé en pensée avec vous .

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